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Écrire un livre - Les erreurs à éviter (2)

Comment réussir le début de son livre et faire forte impression dès les premières lignes ?


Depuis la récente épidémie de manuscrits (l'un des effets secondaires du confinement...), les grandes maisons d’édition en France reçoivent près des 4000 textes par an. Il s'agit, pour une large partie, de premiers romans. Un éditeur en publiera entre 5 et 10 pour les plus grandes collections, et entre 3 et 5 pour la majorité des maisons généralistes ou ciblées.


Je vous laisse deviner combien de ces romans publiés sont les premiers faits d’armes d’un auteur...


Pour avoir travaillé au sein de maisons d’édition, je peux vous garantir que le tri est fait en un battement de cils. 90 % des romans sont mis sur le carreau dès la première page, ou même avant, dès la note d’intention.


Problèmes de syntaxe, de grammaire, manque d’enjeux, accroche trop faible, style trop lourd ou trop direct, concordance des temps, stéréotypes… À la grande loterie des rejets, on ne manque jamais de numéros gagnants. Certains, cependant, passeront l’épreuve d’immunité en décrochant un sursis de quelques pages, voire d’un chapitre. C’est tout le bien que je vous souhaite.


Face à une perspective aussi décourageante, comment réussir son entrée en la matière et frapper d’estoc le lecteur en plein cœur ? Dans cet article, vous allez voir comment réussir les premières pages de votre livre et ce qu’il faut éviter à tout prix.



La description de votre personnage


Premier défaut de conception, un auteur débutant aura tendance à décrire son ou ses protagonistes en long et en large.


Son apparence dans les moindres détails, ses manies excentriques, l’odeur de son blouson, son travail insatisfaisant, ses rêves dans la vie, son passé tragique, sa couleur préférée, le nom de son chat mort il y a quinze ans, etc. Il vous faudra trouver, à mesure des corrections, un équilibre et faire des choix. Le lecteur ne doit pas être asphyxié de détails.


Il faut présenter clairement les enjeux, le contexte et les personnages essentiels de façon la plus naturelle possible, sans que cela se lise comme un cours magistral.


Vous êtes avant tout un lecteur. Or, pour un lecteur, le plaisir vient de la découverte de tous ces squelettes que les personnages cachent dans leurs placards.


Faites preuve de patience.


Il faut en révéler peu, juste assez pour que le lecteur recolle les éléments de son plein gré. Si vous tenez à décrire votre personnage (ce qui n’est pas une nécessité autant qu’on pourrait le croire), il est préférable de se limiter à 2-3 caractéristiques notables, physiques et comportementales. L’imaginaire du lecteur n’aime pas être endigué : il a besoin d’indépendance. Le lecteur ne pourra que mieux s’identifier à votre personnage.


À la fin, ses actes compteront bien plus que ses mèches d’un violet entre prune et lavande.


Miroir mon beau miroir


Une erreur que j’ai pu rencontrer très souvent est ce qu’on appelle le « plan miroir », ou description reflet. Elle est omniprésente dans les premières pages de nombreux manuscrits de littérature SFFF, Young Adult et romances.


L’auteur ne sait pas comment introduire une description de façon naturelle, alors le livre débute, le personnage se réveille, prépare son café et s’évalue face au miroir façon bilan sur sa vie. L’occasion parfaite pour le décrire jusqu’au moindre grain de beauté ! Oui, mais non.


On peut commencer par une description sommaire qu’on étoffera ensuite au fil de l’histoire.


N.B. Si vous êtes un homme et que vous décrivez une femme, inutile de passer en revue les mensurations de son décolleté rebondi. Ça n’intéresse (presque) personne, et surtout pas les maisons d’édition !



En clair, on pourrait résumer ce problème récurrent par « vouloir trop en dire trop tôt ».


Il faut faire confiance à ses lecteurs. Cela vaut tant pour vos personnages que pour l’intrigue, la trame de fond, la description des lieux et des relations qui régissent votre univers. Si le début de l’histoire doit être impactant, il faut aussi que l’ensemble puisse respirer. Plutôt que de griller toutes les cartes de votre manche, laisser au lecteur le soin de relier les pointillés de lui-même.


Dans ce cas, comment organiser clairement ses idées ?


Vous pouvez rédiger un brouillon avec la liste des informations et points importants à incorporer dès que possible, puis écrire ensuite, de façon brute, les grandes lignes d’action et de dialogue. Votre texte doit être organique.


Pour cela, lisez-le à voix haute, comme si vous étiez face à un public. D’ailleurs, faites-le face à vos amis ou votre famille.


Solution : n’hésitez pas à revenir régulièrement à vos premières pages et à les remanier par petites touches. Au fil des relectures, plus vous aurez appris à connaitre votre histoire et plus votre introduction pourra être raffinée. En ce sens, ne vous mettez pas trop la pression en rédigeant les premières lignes puisqu’elles seront amenées à changer. Vous pouvez essayer plusieurs approches en écrivant quatre ou cinq incipit, afin de sélectionner le meilleur plus tard.


L’exposition dans la littérature de l’imaginaire


Je tombe souvent sur des auteurs qui fourmillent d’idées pour leurs romans. Ils ont des centaines de pages de notes (souvent pour repousser l’échéance !), de fiches sur leurs personnages, des mappemondes, langages fictifs, et des millénaires d’histoire qui précèdent le début de leur livre.


C’est une excellente chose, tant qu’on ne passe pas des années à esquisser son histoire sans la commencer.


Cependant, s’attarder un tant soit peu sur le worldbuilding est une erreur éliminatoire. Plutôt que de perdre votre temps avec une exposition trop dense, jetez vos lecteurs dans votre univers comme on jette un gladiateur dans l’arène. Il faut les emporter dans l’aventure dès que possible. Le lecteur se moque de connaitre les us et coutumes d’un peuple fictif (pour le moment). Là encore, ce sont des informations qu’il faudra disséminer au compte-goutte, une fois que seront définis les personnages et enjeux.


Solution : pour amorcer le worldbuilding et rendre vivant un univers, il faut penser au « show, don’t tell » : montrer, plutôt qu’énoncer. Au lieu de faire un exposé historique, au lieu de forcer les personnages à poser mécaniquement les conditions de votre univers, « montrez » les choses par bribes.



Le péché capital : « l’info-dumping » ou abus de description


« Ah, te voilà Elena, ma chère sœur que je n’ai pas vue depuis la mort de notre mère dans un accident de voiture. Nous devons nous réconcilier avant que notre père ne succombe de son cancer de l’œsophage pour qu’il puisse finaliser son testament. Souviens-toi qu’il m’a toujours détesté et que tu étais sa préférée. »

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Elena n'était pas prête à pardonner sa sœur Leopoldine pour avoir embrassé Jordan, l’homme qui lui était destiné. Pire, Leopoldine n’a jamais été présente depuis la mort de leur mère. Ce n’était pas à Elena qu'il revenait de réparer ses erreurs.


Voilà l’info-dumping dans toute sa grâce. Les informations sont trop directes, maladroites et redondantes. Personne ne s’exprime ainsi, puisque cela revient à faire sauter le quatrième mur. En fait, très souvent, les conflits s’expriment plus par des non-dits et des non-faits que par des paroles. Le ressentiment, le deuil ou la jalousie se font ressentir de mille façons, en passant par les dialogues le moins possible.


L’exemple est poussé à l’extrême ici, mais c’est pourtant un problème qu’on trouve chez beaucoup d’auteurs débutants.


Un dialogue doit mettre en couleur les personnalités et les tensions, mais le plus souvent, sans exprimer trop clairement ce que les personnages ont en tête. Ils ont chacun des objectifs secrets, parfois inconscients, dont le lecteur peut avoir connaissance ou non.

Solution : se défaire de l’idée que le lecteur doit tout savoir tout de suite, que si vous ne révélez pas vos meilleurs tours de magie, vos chances d’être lu seront réduites. Un mystère se cultive et s’entretient. Il faudra donc faire des choix quant aux révélations cruciales à exposer dès le début, mais sans les étaler au visage du lecteur.


S’inspirer des grands romans


L’incipit est un exercice difficile : on peut éprouver un attachement sentimental pour ses premières lignes, celles qui ont généré l’étincelle, et être tenté de ne rien changer.


Demandez régulièrement l’avis de votre entourage et ne craignez pas de revenir dessus.


La meilleure façon de comprendre ce qui marche et ne marche pas, c’est de travailler au corps les premières pages des plus grands romans. Notez ce qui vous intrigue, en relevant bien l’économie des mots et la précision de ceux choisis.


 

La Métamorphose, de Franz Kafka.

« En se réveillant un matin après des rêves agités, Gregor Samsa se retrouva, dans son lit, métamorphosé en un monstrueux insecte. Il était sur le dos, un dos aussi dur qu’une carapace, et, en relevant un peu la tête, il vit, bombé, brun, cloisonné par des arceaux plus rigides, son abdomen sur le haut duquel la couverture, prête à glisser tout à fait, ne tenait plus qu’à peine. Ses nombreuses pattes, lamentablement grêles par comparaison avec la corpulence qu’il avait par ailleurs, grouillaient désespérément sous ses yeux. »


Orgueils et Préjugés, de Jane Austen.

C’est une vérité presque incontestable qu’un jeune homme possesseur d’une grande fortune doit avoir besoin d’une épouse. Bien que les sentiments et les goûts d’un tel homme ne soient pas connus, aussitôt qu’il vient se fixer dans une province les familles du voisinage le regardent comme un bien qui doit dans peu appartenir à l’une ou l’autre de leurs filles.

« Mon cher monsieur Bennet, avez-vous appris que le château de Netherfield est enfin loué ? » M. Bennet répondit que non.

« Je puis vous assurer qu’on l’a loué, reprit sa femme, car Mme Long sort d’ici, et m’a dit tout ce qu’il en était. »

M. Bennet ne fit point de réponse.

« Ne désirez-vous pas savoir, dit sa femme très vivement, quel est l’homme qui doit devenir notre voisin ?

— Vous désirez me le dire, et je veux bien vous écouter. »


L’Étranger, d'Albert Camus.

« Aujourd’hui, maman est morte. Ou peut-être hier, je ne sais pas. »


L’Amant, de Marguerite Duras.

« Un jour, j’étais âgée déjà, dans le hall d’un lieu public, un homme est venu vers moi. Il s’est fait connaître et il m’a dit : “Je vous connais depuis toujours. Tout le monde dit que vous étiez belle lorsque vous étiez jeune, je suis venu pour vous dire que pour moi je vous trouve plus belle maintenant que lorsque vous étiez jeune, j’aimais moins votre visage de jeune femme que celui que vous avez maintenant, dévasté.” »


Fahrenheit 451, de Ray Bradbury.

« Le plaisir d’incendier ! Quel plaisir extraordinaire c’était de voir les choses se faire dévorer, de les voir noircir et se transformer. Les poings serrés sur l’embout de cuivre, armé de ce python géant qui crachait son venin de pétrole sur le monde, il sentait le sang battre à ses tempes, et ses mains devenaient celles d’un prodigieux chef d’orchestre dirigeant toutes les symphonies en feu majeur pour abattre les guenilles et les ruines carbonisées de l’Histoire. Son casque symbolique numéroté 451 sur sa tête massive, une flamme orange dans les yeux à la pensée de ce qui allait se produire, il actionna l’igniteur d’une chiquenaude et la maison décolla dans un feu vorace qui embrasa le ciel du soir de rouge, de jaune et de noir. »


La Tour sombre, de Stephen King.

« L’homme en noir fuyait à travers le désert, et le pistolero le suivait. »


1984, de George Orwell.

« C’était une journée d’avril froide et claire. Les horloges sonnaient treize heures. »

 

Commencer une histoire, c’est d’abord installer une atmosphère, un rythme, un état d’esprit. C’est jeter le lecteur sur un train en marche, et l’aider ensuite à garder l’équilibre. La première ligne est une occasion de présenter votre style, introduire votre personnage ou un incident surprenant. Le début d’Orgueil et Préjugés expose les thèmes au cœur du roman. Dans 1984, Orwell commence par un détail dérangeant, inhabituel, de mauvais augure (treize, un chiffre qui porte malheur) et dans Fahrenheit 451, le malaise est à son comble et ne nous laisse pas reprendre notre souffle.


Avec L’Amant et L’Étranger, on établit d’emblée la voix de leur personnage principal, nous forçant à embrasser leur point de vue et leur attitude face au monde.


Chez Kafka et Bradbury, on introduit aussitôt un rythme narratif engageant. Fahrenheit 451 éclate et crépite comme des claquements de flammes. La Métamorphose nous fait éprouver cette découverte terrifiante, au même moment que Samsa, où les longues phrases traduisent la panique et le manque de repos. Pourquoi ? se demande-t-on. Comment en est-on arrivés là ?


Une bonne ouverture nous éclaire sur les enjeux et les obstacles qui se dresseront devant le personnage.


Samsa pourra-t-il retrouver son humanité et stopper la transformation ? Comme pour Fahrenheit 451, il y est question d’humanité, de destruction, de vie et de mort. On pose ainsi un contexte à l’histoire, à la fois social, culturel, géographique, esthétique et psychologique, notamment grâce à des détails sensoriels forts et dérangeants. Toutefois, vous n’êtes pas obligé, comme Orwell, de parler de la météo.


Évitez les discussions d’ascenseur et cherchez un moyen de surprendre, à l’aide d’un facteur d’étrangeté au milieu de la normalité.


Des paragraphes courts et des phrases percutantes sont préférables, mais là encore, pas d’obligation. L’essentiel est de préciser, dès que possible, l’unité de lieu et de temps dans lesquelles se déroule votre histoire. Dites-nous quelles sont les règles de votre monde. Comment s’y conformer, et que risquent les personnages en les transgressant ?


S’il y a de la magie dans votre histoire, faites survenir un évènement surnaturel en définissant clairement le genre littéraire. Les lecteurs doivent identifier très tôt le ton général, le style et le genre de l’histoire afin de savoir si la suite pourrait les intéresser.


Exercice pratique : essayez de réécrire le début de votre livre préféré avec vos propres mots. Consacrez 1000 mots à l"introduction de l'univers, des personnages, du ton en suggérant des enjeux et conflits potentiels. Ensuite, comparez votre texte à celui de l'auteur. Qu'est-ce qui fonctionne ? Qu'est-ce qui donne envie de lire la suite ?


Pour résumer ce qu'il faut faire afin de réussir le début de son livre :


1) Commencer par un moment qui change tout. Il y a eu un avant, il y aura un après.

2) Introduire un contexte, une époque et un endroit dans lequel on va jeter l'élément perturbateur.

3) Déranger les lecteurs avec une phrase choc, inattendue.

4) Suggérer un ton, un style, une atmosphère et mettre en évidence le genre littéraire pour éviter la publicité mensongère.

5) Permettre au lecteur de s'identifier au personnage et l'aider à se faire une opinion sur lui.

6) Ne pas abuser de l'exposition, alléger les détails et éviter les gros blocs de texte.

7) Après quelques pages, faire décoller les enjeux. Rajouter de l'instabilité, des détails troublants.


Encore une fois, n'oubliez pas que rien n'est gravé dans la roche. Ne vous laissez pas intimider par les enjeux : il n'y en a pas réellement, si ce n'est celui de vous améliorer. Au fil du temps, votre histoire gagnera en maturité, en cohérence, en efficacité, et vous aussi en tant qu'auteur.


Continuez à lire, à écrire quotidiennement, à cerner vos auteurs préférés et vous progresserez en un rien de temps ! N'hésitez pas à nous contacter au Studio 37.6°C pour des évaluations critiques, pour la correction de vos textes et pour développer vos compétences de manière décisive !










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